Présentation

Entre perceptions poétiques et réflexions civiques.

A travers le questionnaire de Proust, filtre et sonde de l'intime, le portrait d’un groupe de jeunes roumains, acteurs de la vie de demain.

A José-Maria Queiros qui, par sa confiance, a donné vie à cette aventure.

Cette installation est protéiforme, elle s’écrit dans deux espaces-temps : l’immersion et la perception.

Désir

Désir de rencontre, désir de découvrir « l’autre », désir d’ailleurs sont à l’origine de l’œuvre.

J’ai eu la chance de rencontrer un groupe de dix jeunes acteurs roumains, cinq filles, cinq garçons, et de partager des temps de vie avec eux. J’ai été sous le charme, de leurs rêves, de leur culture, de leur joie de vivre mais aussi de leur lucidité dans un contexte difficile.
J’ai eu envie de partager l’expérience que j’ai vécue en réalisant une œuvre moderne comme eux, une installation photo et vidéo.

J’ai rassemblé autour de moi une belle équipe : Laurent Rojol, vidéaste, Guillaume Robert, photographe, Julia Benchettrit pour la prise de son et Cristina Bodnărescu (une des actrices du groupe), assistante.

De l’identité

J’ai tenté de réaliser un portrait « intérieur-extérieur », qui tracerait un lien entre rêve et réalité.
Un kaléidoscope de paysage mental et de paysage réel.

Qui sont-ils ?
A quoi ressemblent-ils ?
Que vivent-ils ?
Quel est leur quotidien ?
Quels sont leurs premiers pas dans la « vie active » ?
Quelles sont leurs peurs ?
Quels sont leurs rêves ?
Quels sont leurs désirs profonds ?

Afin d’établir la bonne distance et de ne pas être intrusive, j’ai utilisé le questionnaire de Proust comme un filtre.
J’ai choisi les réponses qui ont retenu mon attention.
J’ai proposé à chaque acteur de choisir deux lieux dans la ville de Iași, celui qu’il préfère et celui qu’il déteste.
Chacun des acteurs a été filmé dans ces lieux une journée durant.
Je leur ai aussi demandé de m’apporter 5 objets : un document administratif, une photo, un dessin, un élément de la nature et quelque chose qui les caractérise.

Temps 1 : immersion

L’immersion commence par le son.
J’ai recherché un son des origines.
Un son de l’infini, un son des profondeurs.
Un son comme une nappe de conscience, sur lequel se posent des questions.
L’atmosphère propice à la grande question de chacun :
« Qui suis-je ? »
Quel serait le son du rayonnement fossile ?
Ce chant que continue a émettre l’univers, un écho toujours actif du big-bang.
Nous avons créé un espace sonore afin que les questions résonnent depuis l’infini.
Le questionnaire fait son entrée, dans les deux langues : français - roumain.
C’est le début du parcours dans l’œuvre.
Une tentative d’introspection.

Le questionnaire est donné à chaque spectateur, il l’accompagne dans ce voyage.

Connais-toi toi-même.

[Renonce à chercher hors de toi, à apprendre par des moyens extérieurs ce que tu es réellement et ce qui te convient. Reviens à toi, non pour te complaire en tes opinions, mais pour découvrir en toi ce qu'il y a de constant.]

Les questionnaires

Les questionnaires constituent un lien entre identité et intimité.
Le questionnaire de Proust crée un lien invisible avec notre moi intérieur.
C’est un guide de voyage dans le paysage mental.
Une autre captation de l’essence de chacun.
Depuis toujours l’homme s’interroge sur lui même par le regard intérieur, et raconte son histoire, ou des fragments d’histoire, dans des journaux intimes, dans des romans, ou des « confessions ».
Dés le XVème siècle, la personne humaine est valorisée par les humanistes.
La connaissance de soi fait de l'homme un être libre, « maître de son Royaume » au sens où Ronsard l'écrit en 1561 :

« Le vray commencement pour en vertu accroître
C'est (disait Apollon) soy-même se cognoitre
Celui qui se cognoit est seul maistre de soy
Et sans avoir royaume, il est vraiment un roy. »

En interrogeant l’autre c’est aussi soi-même que l’on interroge dans un rapport de proximité ou de différence.

Rien de plus « soi » que de se nourrir des autres… encore faut-il les digérer !

Paul Valéry

Les tableaux-photographiques : les visages-paysages

Les visages sont à contempler comme des paysages.
A lui seul le visage peut être emblématique d’une histoire, d’une culture.
Ces visages sont d’autres territoires géographiques de la Roumanie.
En cadrant de très près les acteurs, dans une lumière blanche qui fait apparaître la couleur naturelle de la peau, les visages se dessinent comme des planètes.

Nous avons constitué un photomaton moderne.
Une chaise fixe, une marque au sol pour les pieds, le regard du sujet dans l’axe de l’objectif de l’appareil, et la recherche d’une expression profonde, loin des mimiques anecdotiques.
Telles sont nos consignes de création.
La matière de notre peinture est le jet d’encre, notre style le pixel, notre mise en relief du sujet, le travail de la lumière.

L’ensemble des tableaux écrit une constellation moderne, où l’autre se dévoile plus ou moins proche de soi.

Temps 2 : perception

Dans l’espace-temps 2, le public est invité à regarder un film vidéo.

Proust, Iași, 2010
(en roumain sous-titré en français et français sous-titré en roumain, durée 52 minutes)

J’ai choisi l’utilisation de la vidéo dans l’œuvre comme média (moyen de communication), mais le rôle de médium (caractères physiques) que je lui ai réservé est spécifique. Le jeu de superposition entre images rapportées de la vie réelle et documents personnels filmés en gros plans est le mode d’écriture avec lequel j’ai réalisé le film. Le questionnaire de Proust est absent mais son spectre se devine dans le recueil des confidences.

La bio-vidéo

J'ai utilisé la vidéo comme un outil de perception de la biographie.
L’adresse à la caméra est l’équivalent de l’écriture d’un journal intime.
La caméra est le confident d’une parole qui ne s’est pas exprimée ailleurs.

L’écrit comme lien invisible

Cette vidéo donne accès aux traces de l’intime.
Dans un jeu de « feuilletage » entre documents privés et images à caractère plus documentaire, une grande place est accordée à la présence de l’écrit.
Documents manuscrits, tapuscrits, sont des « traces archéologiques » observés au microscope de la vidéo afin de révéler l’essence d’un être.

Le film est issu de 10 jours de tournage. Chaque acteur est présent à l’image en moyenne 5 minutes. Une présentation sur photomontage, 2 ou 3 questions montées, 50 séquences au total.
Chaque être se découvre plus proche de nous, subtilement.

Cette œuvre est un geste d’ouverture vers cette nouvelle génération.

Si tu ne sais pas t’ouvrir et aller vers les autres peuples,
Tu resteras toujours immobile dans ton existence.

Amz Ibn Gaïs

Paroles de spectateurs

Ce travail sur l’identité des jeunes roumains. Des portraits qui attirent, qui suscitent la curiosité, le regard, le « je veux en savoir plus » sur la nouvelle génération porteuse de projets, non seulement sur le plan personnel, mais aussi sociétal. Un croisement de regards qui illustre notre soif de savoir et de découverte de nouveaux horizons…

Voir le film m'a fait plaisir... et mal aussi... il y a beaucoup d'amour et de douleur, la forme naïve, ludique, contraste avec leur(s) réalité(s)... je le trouve juste…

C'est un film beau et passionnant. C'est très fort, et souvent très dur, ce qu'ils disent. (Bizarre, cette fascination du Japon qui intervient deux fois !) Le style du film est très réussi. On ne cadre pas les jeunes les uns après les autres, du moins pas exactement. Pris dans un environnement et dans un mouvement, ils reviennent, ou ne reviennent pas. Ils deviennent centraux ou juste des passants qui surgissent. C'est un portrait multiple et unique qui va loin. Je suis sûr que tous ont été enrichis – vus aussi, bien entendu – par l'expérience. A eux de faire face maintenant à une vie si difficile…